L’appel
suscite des débats, des réticences, des interrogations.
Nous avons
rassemblé les questions ou craintes ou remarques qui reviennent le
plus souvent.
Sur quels critères seront définies les approches différentes ?
Nous
considérons que les pédagogies dites nouvelles ont toutes des
caractéristiques communes (voir le tableau des deux approches, le
texte sur les pédagogies différentes). Les plus communes sont le
respect de l’enfant comme auteur et source de ses apprentissages
(ses intérêts, ses besoins, ses envies… et l’activité qui en
découle et qui est permise), l’importance du plaisir (« l’école
de la joie »), la libération de l’initiative, l’organisation
qui tend vers l’organisation coopérative ou l’auto-organisation
dont les enfants sont partie prenante, l’évolution cognitive (les
apprentissages) qui n’est plus dirigée par un programme et un
enseignement frontal, le respect absolu des rythmes individuels
biologiques et cognitifs, le multi-âge.
Beaucoup
d’écoles alternatives s’inspirent et se réfèrent simultanément
à plusieurs pédagogues (en particulier Freinet et Montessori).
Chacune fait sa propre synthèse et la décline dans un projet
d’école qui peut différer suivant les contextes.
Mais qu’en sera-t-il de notre liberté pédagogique ? (enseignants)
La liberté
pédagogique actuelle est assez factice puisque pour s’exercer
réellement, il faut que cela soit fait dans des établissements
cohérents.
Elle existera
toujours dans le choix de l’approche (mais bien sûr les
enseignants ne pourront plus choisir un établissement dont les
caractéristiques ne correspondent pas à leur choix pédagogique).
Ensuite elle s’exercera dans l’élaboration, avec l’équipe
enseignante, des stratégies éducatives du projet d’école. La
liberté pédagogique individuelle actuelle sera nécessairement
incluse dans une responsabilité pédagogique collective.
Et puis,
peut-on continuer à accepter que celles et ceux qui disposent d’une
liberté pédagogique à laquelle doivent se soumettre les enfants et
leurs parents n’aient aucun compte à leur rendre ? Cela
deviendrait beaucoup plus facile et positif si cette liberté
s’effectuait pour mettre en œuvre un choix conjoint auquel les
deux parties contribueraient dans la collaboration à la réussite.
Tous
les parents sont-ils capables de faire un choix raisonné ? Ne
serait-ce pas privilégier les catégories socioculturelles élevées ?
Les choix
dépendent toujours de l’information mise à disposition. Cette
information des familles sur les deux approches possibles, leurs
fondements et les conséquences qu’elles induisent, nous demandons
dans l’appel
qu’elle soit faite officiellement par le ministère de l’Education
nationale. Penser que seules les catégories socioculturelles
privilégiées peuvent… penser, c’est quelque peu méprisant pour
les autres.
N’est-ce pas faire une école à deux vitesses, celle des riches et celle des pauvres ?
La question
induit que les pédagogies alternatives seraient meilleures et
réservées aux riches !
Il ne s’agit
pas de deux écoles dont l’une ne serait accessible qu’à ceux
qui en ont les moyens (ce
qui est le cas actuellement).
C’est dans l’école
publique gratuite
que nous voulons que ces deux approches soient disponibles à tous.
L’expérience a montré que lorsque ce choix existe, il y a bien
une mixité sociale non imposée qui s’établit naturellement
(exemple de la ville de Gand où deux types d’écoles communales,
classiques et Freinet, peuvent être choisies par toute la
population). La
mixité sociale
y est bien plus importante que lorsqu’une carte scolaire détermine
la seule école où une population scolaire est obligée d’aller.
N’est-ce pas accentuer un clivage, mettre deux camps l’un contre l’autre ?
Ce clivage
(essentiellement entre enseignants) existe depuis longtemps, mais
seuls les enseignants des pédagogies nouvelles, isolés dans des
établissements classiques, en subissaient les conséquences (et bien
sûr les enfants). Il est occulté dans l’école, mais pas par les
chantres médiatiques qui se livrent à des batailles sur les ondes
et les écrans (par exemple Finkielkrault et Meirieu). Le clivage
entre école publique et école privée confessionnelle, bien réel
puisqu’il arrivait à mettre des milliers de personnes dans la rue,
ne dérange, lui, plus personne.
Lorsqu’on
lit sur les forums les débats déjà suscités par l’appel, on ne
peut que constater le fossé qui sépare les deux « camps »
aux convictions inconciliables.
Pour arriver
à ce que ces deux camps échangent vraiment, il faut que l’un et
l’autre puissent vraiment développer de façon cohérente leurs
conceptions,
côte à côte
dans l’école publique, sans
combat
puisque cela résultera d’un choix et des professeurs, et des
parents. C’est le temps et l’expérience vécue de chacun, qui,
peu à peu, permettra un consensus auquel d’autres pays sont
arrivés.
Mais la plupart des enseignants ne sont pas formés !
C’est
encore une demande de l’appel. Il faut savoir que tous les
enseignants qui tentent de pratiquer ces pédagogies se sont formés
sur leurs temps de loisirs et de vacances, et avec leurs deniers. Peu
savent que, depuis l’utilisation des nouvelles technologies de
communication (1983 pour le mouvement Freinet !) ils passent
quotidiennement des heures à échanger pour améliorer leurs
pratiques.
Il est
impensable que, dans la formation et dans la formation continue des
professeurs, ces pédagogies n’aient pas une place importante
puisque l’Education nationale elle-même ne dénie pas leur
valeur... Elle n’aurait même pas à trouver et former des
formateurs : cela fait des décennies que des praticiens des
différentes associations pédagogiques (Freinet, Montessori,…)
forment bénévolement leurs collègues. Il suffirait de les recruter
ou de les laisser rentrer officiellement dans les écoles supérieures
de formation des enseignants.
A-t-on les moyens ?
Question
posée à toute proposition de changement ! La mise en œuvre de
notre proposition n’en demande même pas :
- Le nombre
d’enseignant(e)s aspirant à pratiquer des pédagogies différentes
ou prêt à s’y engager est beaucoup plus grand qu’on imagine
(voir dans les commentaires des signataires). Il suffirait que, dans
chaque secteur, un établissement ou une partie d’établissement
soit dédiée à cette autre approche, permettant à ces enseignants
de le demander. Des enseignants Freinet sont parfois parvenus, au gré
des mouvements de mutations, à se regrouper dans des écoles. Mais
elles ne peuvent perdurer, il suffit d’un changement de directeur
ou de professeur pour qu’elles perdent leur caractéristique.
Actuellement
il existe déjà des projets élaborés par des enseignants et des
parents d’un même secteur qui ne demandent que le feu vert de
l’administration
La gestion de
la demande (des parents et des enseignants) et de l’offre
(établissements spécifiques) n’est pas si compliquée : cela
existe déjà en ce qui concerne les différents lycées d’un
secteur : la plupart indique officiellement et publiquement
leurs caractéristiques et ce qu’elles impliquent pour permettre le
choix des lycéens et familles ; l’administration et ses
techniciens de l’informatique gèrent parfaitement cela.
- Ces
pédagogies ne demandent pas des moyens supplémentaires (qui sont
ceux attribués par les collectivités locales), ils sont simplement
utilisés différemment : au lieu d’acheter des séries de
manuels, acheter des jeux Montessori, des fichiers Freinet ou des
marteaux et des clous ne coûte pas plus cher. Les enseignants
Freinet ont montré depuis des dizaines d’années les trésors
d’ingéniosité qu’ils déploient pour se débrouiller avec ce
qu’ils avaient, ou obtenir et bricoler ce qu’ils n’avaient pas
(toute l’histoire de l’introduction de l’imprimerie, des
machines à écrire, des magnétophones, des caméras ou caméscope,
de l’informatique et de la télématique – dès 1983 – de la
télécopie, etc.)
-
L’intégration de toutes les écoles alternatives laïques dans
l’école publique ne demande que la prise en charge des enseignants
par l’État, ce qu’il fait déjà pour les écoles privées
catholiques, elles en grand nombre, d’autre part il y a 60 000
postes d’enseignants promis !
N’est-ce pas mettre en concurrence des écoles et des enseignants ?
Nous ne
sommes pas dans la situation de concurrence telle l’entend
l’économie libérale. Les concurrences s’établissent par
rapport à un même « produit » à obtenir. S’il
s’agissait d’obtenir de meilleures « performances »,
là, il y aurait concurrence. C’est bien les performances que
pointent les évaluations, ce qui est indiqué dans la communication
des résultats des lycées par exemple. C’est bien la concurrence
entre élèves qui est souvent une clef de l’enseignement classique
(les meilleurs obtiennent les meilleures écoles, les meilleures
situations sociales,…). La concurrence constitue aussi une menace
dont on pense qu’elle incite aux efforts (pas seulement pour les
élèves, pas seulement pour l’école).
Mais ce n’est
pas la performance qui intéresse celles et ceux qui font le choix de
l’alternative, tous les signataires le disent. C’est une autre
façon de vivre à l’école, l’élimination de la concurrence
entre enfants ou adolescents, une autre conception de l’acte
éducatif donc une autre conception de l’action des éducateurs,
etc.
Il s’agit
bien d’un choix entre deux conceptions opposées qui est demandé.
Mais choisir son école pour avoir un enseignement adapté à votre petit bouchon qui est trop fatigué pour aller à l'école mais qui passe ses temps libres devant n’importe quel jeu vidéo, laissez moi rire !
Il y a une
méconnaissance profonde de ce que sont les pédagogies différentes
dans cette remarque. Il y a aussi une négation du lien affectif qui
lie parents et enfants et dont d’ailleurs tout le monde connaît
les conséquences quand il se délite, et en particulier ceux qui
doivent soigner enfants et adolescents en perdition. La négation des
parents et de leur responsabilité ancrée aussi dans l’affect, est
un problème de l’enseignement classique qui n’a pas encore
compris qu’il a même des conséquences cognitives. Aucun
apprentissage ne peut s’établir solidement hors d’un état
sécure. Et ce n’est pas la fatigue avant l’école qui justifie
le choix, mais plutôt la fatigue dans l’école.
D’autre
part, dans les familles qui font le choix d’une autre alternative
telle nous l’avons définie, c’est justement là qu’on est le
plus attentif à moins d’écrans à la maison.
Pas de différences sociales, pas de différences de culture, on apprend tous la même chose ! Ça fait une base commune pour évoluer dans les écoles supérieures et les grandes écoles, savoir compter c'est bien aussi...
C’est une
affirmation qui est souvent proclamée par ceux que l’appel
dérange. Elle relève d’un vieux mythe républicain de l’égalité
(qui est devenu celui de l’uniformité) et de son contraire,
l’élitisme (base
pour évoluer dans les écoles supérieures…)
Nous faisons
remarquer que l’État lui-même a introduit une notion nouvelle,
celle d’un socle commun. Celui-ci consiste à demander à l’école
que les enfants en sortent avec des compétences, des savoir-faire
leur permettant d’être et d’agir dans notre société. On peut
critiquer le contenu de ce socle, mais il n’impose pas l’uniformité
pour l’atteindre, ce d’autant que l’uniformité démontre de
plus en plus son inefficience. Les pédagogies alternatives ont
toutes cet objectif, elles l’atteignent par des moyens différents.
Quant à
éliminer les différences
sociales et de culture
dans l’école, c’est bien parce que c’est impossible qu’elle
est en difficulté dans sa volonté d’uniformiser. Les pédagogies
alternatives, au contraire, s’en servent et s’en enrichissent.
On ne devrait pas avoir à marginaliser nos enfants en les sortant du système, il faut tout changer pour tous. C’est globalement et en même temps pour tous que l’école doit évoluer.
- Il ne s’agit pas de « les sortir du système » puisque nous demandons justement le contraire, que ce soit dans l’école publique. Nous demandons simplement que le « système » s’adapte à la diversité des enfants qui demande la diversité des approches.
- Lorsque ce « système » instaure des SEGPA ou autres classes pour « enfants inadaptés », cela ne choque pas, et pourtant il y a en plus de la marginalisation la stigmatisation !
- Changer globalement, cela fait des dizaines d’années que cela est dit. Cela a même été tenté (réforme du tiers-temps pédagogique, réforme dite des maths modernes, réforme des cycles…). Toutes ces réformes, ou n’ont pas été appliquées par l’ensemble des enseignants (et soutenues par l’ensemble de l’administration) ou ont été abandonnées avant qu’on puisse en constater les effets. Même quand il y a un consensus comme sur les rythmes, on est bien obligé de constater les résistances comme l’incapacité des acteurs du système éducatif de le prendre en compte. Il est probable, tout au moins souhaitable, que l’ensemble du système éducatif, ses finalités, ses pratiques évoluent dans… x années. Mais sa pesanteur est telle, les habitus sont tels, les divergences d’opinions et de convictions sont telles, qu’il lui faudra bien longtemps pour qu’il prenne une direction consensuelle. Or, c’est dans l’immédiat qu’il y a urgence pour un grand nombre d’enfants, qui, eux, ne peuvent attendre. Nous pensons qu’au contraire notre proposition aidera l’ensemble du système éducatif à s’orienter. Les risques que l’Etat ne veut ou ne peut pas prendre, ce sont un certain nombre de parents, dont on admettra enfin leur capacité d’être responsables, qui les prendront et assumeront avec un certains nombre d’enseignants tout aussi responsables. Ce faisant, en permettant à ces deux approches d’exister et de se développer pleinement dans leurs différences conceptuelles (surtout pour la seconde), c’est le constat de leurs effets à plus ou moins long terme qui permettra à l’Etat et surtout à la Nation de prendre enfin une direction sans risques.
La diversité des enfants est bien respectée dans la pédagogie individualisée
C’est un
peu la tarte à la crème dont ne résulte pas grand-chose, ce
d’autant qu’il y a antinomie entre une pédagogie frontale cadrée
par les programmes à suivre, ponctuée par des évaluations, et une
pédagogie individualisée (sauf si chaque enfant a un précepteur !).
Si celle-ci avait pu se réaliser dans la logique et la structuration
de l’enseignement classique, il n’y aurait plus de problème
d’école.
Les
pédagogies alternatives sont dans une autre logique. Ce ne sont pas
seulement les pratiques et les outils qui sont différents et dont
certaines ou certains peuvent être utilisés dans les pédagogies
classiques, c’est l’enfant et sa vie, les enfants et leur vie
dans le collectif, qui sont la source de leurs apprentissages. Ce qui
est privilégié ce sont les interactions avec leur environnement et
leurs interrelations, plus que l’action directe des enseignants qui
ne sont plus au centre du système. Programmes et évaluations
artificielles, découpage du temps, des matières et des âges n’en
sont plus les ordonnateurs et les régulateurs. L’aménagement du
cadre, la position des enseignants, ne sont plus les mêmes.
Il est vain,
et les faits l’ont démontré, de vouloir panacher deux logiques
opposées.
Les laisser
se développer complètement ne relève que du bon sens ou de la
raison.
Mais
comment ces écoles pourront-elles être contrôlées par les
inspecteurs ? De la même façon que dans les écoles
classiques ?
L’inspection,
l’évaluation des enseignants est déjà remise en cause par
beaucoup, y compris au niveau du corps des inspecteurs et de
l’Inspection générale.
Il est
évident que l’évaluation des enseignants et des élèves ne
pourra s’effectuer sur les mêmes critères, avec les mêmes
grilles d’évaluation dans l’une ou l’autre des approches.
Actuellement, seuls quelques inspecteurs ont une connaissance
suffisamment approfondie des pédagogies actives (qui correspondent
aussi à leurs convictions) pour pouvoir donner une appréciation (et
des conseils !) sur ce qu’ils constatent. Il faudra donc bien,
qu’enfin, ils soient eux aussi formés !
Mais comment l’Education nationale pourra alors évaluer l’ensemble de son système éducatif comme elle le fait actuellement si toutes les écoles et tous les élèves ne font pas la même chose ?
Déjà
aujourd’hui, toutes les formes d’évaluation qu’elle a mises en
place ne lui donnent pas satisfaction ni de donnent satisfaction à
personne. Le
point d’une éventuelle évaluation générale ne peut être qu’au
terme de ce qu’elle a instauré : le socle commun, ce que fait
d’ailleurs et hors des écoles la fameuse évaluation PISA, toute
critiquable soit-elle.
Ce n’est
pas nous ou les pédagogies différentes qui posons le problème de
l’évaluation et elle est remise en question par le ministère
lui-même (refondation).
Et puis il y
a l’évaluation des parents qui ont fait un choix et qui restent
dans ce choix ! Seraient-ils insouciants de l’avenir de leurs
enfants ?
Le baccalauréat conditionne l’entrée à l'université. Il est le pur produit de l'école traditionnelle. Est-ce à dire que les enfants venus des écoles différentes ne pourront pas aller à l'université ? ni dans les grandes écoles ?
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